L’internaute n’est pas un poisson rouge
Dire de quelqu’un qu’il a une mémoire de poisson rouge n’est pas un compliment. Nous attribuons aux poissons rouges une mémoire ridicule, de l’ordre de quelques secondes. Cela expliquerait pourquoi il a toujours un petit air étonné en redécouvrant constamment son aquarium. Par extrapolation on accorde un temps d’attention dérisoire à ces pauvres petits poissons.
Les poissons rouges aiment les Lego
Sur le web, les sources de distraction sont nombreuses, et les internautes sont régulièrement comparés à des poissons rouges. Je l’ai d’ailleurs fait régulièrement dans mes présentations, pour souligner le fait qu’il est important de capter rapidement l’attention des lecteurs, sinon ils vont aller voir sur Facebook s’il n’y a pas quelque chose de plus croustillant à lire. Je dois faire mon mea culpa auprès des poissons rouges. Leur mémoire et leur capacité d’attention sont loin d’être aussi mauvaises qu’on le pense.
La célèbre émission américaine Mythbusters a entraîné des poissons à traverser un labyrinthe pour atteindre leur nourriture. Un mois après l’entraînement, les poissons se souvenaient du labyrinthe et étaient capables de le traverser rapidement, sans aide extérieure.
À l’université de Plymouth, en Grande-Bretagne, Phil Glee a appris à des poissons rouges à pousser un levier pour obtenir de la nourriture. Ce levier ne fonctionnait qu’une heure par jour, ce qui a obligé les poissons à comprendre qu’ils devaient activer le levier tous les jours à la même heure.
Pas trop mal pour des poissons.
Le poisson rouge est même capable de s’intéresser à des Lego!
Pendant trois mois, un adolescent australien de 15 ans, Rory Stokes, a placé
une pièce de Lego rouge dans un aquarium et déposé de la nourriture juste à
côté. Les poissons rouges ont vite compris le lien entre les deux événements :
au bout de trois semaines, ils se ruaient sur le Lego dès qu’il était placé
dans l’eau. Même en interrompant l’expérience durant une semaine, les poissons
se souvenaient de la signification de l’apparition du Lego.
L’internaute, un grand distrait?
Alors faut-il changer d’analogie animalière pour parler de la courte attention des internautes? Non. Là aussi, il serait bon de revenir sur les préjugés.
Certes, la croissance des sources de distraction et la recherche constante de la gratification immédiate nuisent terriblement à l’attention des internautes.
Après tout, comment peut-on être à la fois branché en continu et attentif? Si nous passons des heures par jour à consulter un ou plusieurs écrans (parfois en même temps), soyons réalistes, nous ne sommes pas capables de nous concentrer véritablement durant tout le temps alloué aux univers numériques.
Nos cerveaux sont trop sollicités, et de plus en plus, ce qui entraînerait même une diminution globale de notre temps d’attention. Selon le « Statistic Brain Research Institute », le temps d’attention moyen d’un internaute était de 8 secondes en 2013. Il était de 12 secondes en 2000. Nous serions donc pires que le poisson rouge, dont le temps d’attention serait estimé à 9 secondes.
Mais si nous nous trompons sur le poisson rouge, faisons-nous la même erreur
de jugement quant à notre propre capacité d’attention?
En effet, parler du temps d’attention sur le web, c’est tomber dans les
généralités. Nous utilisons le web pour tellement d’actions différentes qu’il
est ridicule d’utiliser un temps moyen d’attention comme étalon.
Si vous parcourez votre fil d’actualités Facebook, votre attention est totalement différente que lorsque vous voulez apprendre une nouvelle recette de cuisine sur un blog ou lire la dernière chronique de votre éditorialiste favori.
Je pense surtout que nous accusons trop facilement l’internaute de ne pas être attentif au lieu de lui donner les moyens de le rester.
L’attention est influencée par :
- Le contexte d’utilisation
- L’objectif de la démarche
- La qualité du contenu
Le contexte d’utilisation
L’environnement et le support utilisé sont évidemment des facteurs
déterminants dans la capacité d’attention de l’internaute. Parcourir
l’actualité sur un téléphone intelligent dans le bus, naviguer sur le site
d’Amazon avec sa tablette devant la télévision ou lire un article de blogue
sur les poissons rouges à son bureau tout en ayant Facebook, Twitter, LinkedIn
et Pinterest d’ouverts ne sont pas des contextes propices à la grande
attention. D’ailleurs, vous devriez fermer tout cela et vous concentrer sur
cet article sinon vous risquez d’être perdus. C’est fait? Bon, continuons.
L’importance croissante des appareils mobiles doit être prise en compte.
Google a été clair avec la mise à jour de son algorithme : vous devez adapter
vos plateformes de diffusion, en l’occurrence les sites web, à la mobilité.
Sinon, gare à votre référencement. Une menace bien plus réelle que le bug de
l’an 2000.
L’objectif de la démarche
Prendre en considération la mobilité et la diversité des contextes
d’utilisation est certainement nécessaire, mais il ne faut pas perdre de vue
l’objectif que vous désirez atteindre. Oui, vous voulez l’attention de
l’internaute, mais de quel type d’attention s’agit-il? Réagir émotionnellement
à une image diffusée sur Facebook et lire au complet une analyse du dernier
budget du gouvernement, pour prendre deux extrêmes, ne requièrent pas le même
type ni le même niveau d’attention. Autrement dit, voulez-vous divertir,
informer, convaincre? Selon votre but, le contenu sera forcément très
différent.
La qualité du contenu
Le fossé entre ce que pensent les organisations du niveau d’attention des
internautes et leur capacité réelle est creusé par le mauvais contenu, tant
dans sa forme que dans son message.
Pour ce qui est de la forme, beaucoup trop de sites manquent d’optimisation en termes de vitesse. Il faut savoir que 32% des internautes abandonnent un site qui se charge trop lentement après quelques secondes. 1 seconde d’attente peut avoir des résultats catastrophiques : 11% de moins de pages vues, diminution de 16% du taux de satisfaction des internautes et 7% moins de conversions.Ensuite, il y a le problème de la présentation des informations. Des contenus clairement structurés et hiérarchisés permettent également de faciliter la capture de l’attention. Imaginez que allez à la bibliothèque pour vous informer et que les livres n’ont ni couverture, ni quatrième de couverture. Pire, ils ne sont même pas classer selon un ordre que vous comprenez (par exemple par ordre alphabétique). Vous ne resterez pas longtemps à fouiner parmi cette masse d’informations inutilisable.
Ah! mais pourquoi parler de livres, les internautes ne lisent pas, voyons.
L’internaute ne lirait que 28% des mots d’une page web en contenant 593.
Une statistique qui ne veut pas dire grand-chose. Le lecteur d’un journal papier ne lit pas tous les mots imprimés. Un internaute ne lit pas non plus scrupuleusement l’ensemble des mots qui composent la page (libellés, dates, notes, etc.). D’autre part, l’internaute ne lit que ce qui lui semble pertinent. Plutôt que de l’accuser de ne pas lire, ne devriez-vous pas vous demander si ce sont vos textes qui ne sont pas intéressants?
Aussi, il est peu probable que l’internaute lise l’ensemble des informations qui l’intéresse en une seule fois. N’oubliez pas qu’il est souvent en mode de cueillette d’informations. Alors il va scanner rapidement les informations, puis y revenir, une fois, deux fois, dix fois si nécessaire. L’attention accordée n’est pas monolithique, mais fragmentaire. L’internaute papillonne (tiens, voilà, peut-être que l’internaute est un papillon?), il butine l’information (ou une abeille).
Et pour paraphraser Victor Hugo, il s’en va parce qu’il a besoin de distraction et revient parce qu’il a besoin de bonheur. Ce bonheur, c’est l’utilité. La question fondamentale est alors « Est-ce que vous êtes utile à l’internaute? »
Le problème de l’aquarium
Car dans les univers numériques hyper-distrayants, la rareté, c’est l’utilité. L’abondance d’informations est telle que ce qui retient vraiment l’attention, au final, est ce qui est réellement utile. L’internaute, contrairement au poisson rouge, peut se noyer dans une mer d’informations. Comme le disait le journaliste Steve Outing, « il est urgent de créer des informations sur le web qui donne au consommateur ce qui lui est utile ». Quand? En 1997! Comme quoi le problème n’est pas récent.
Au lieu de profiter vainement de l’hyper-distraction de l’internaute, les entreprises devraient se concentrer sur leur propre capacité d’attention. En arrêtant de se lancer tête baissée dans le dernier canal de communication à la mode ou en poursuivant une compétition narcissique de likes ou de followers.
L’internaute n’est pas un poisson rouge, alors ne faites pas de votre présence numérique un aquarium.